Publié le 21 Juin 2024
Nous trouvons en Chine de nombreuses appellations afin de désigner les méthodes de méditation, parmi elles nous trouvons Zuo Wang, après quelques précisions sur le sens et l’étymologie de ces deux termes, nous ajouterons ce que les textes classiques de la métaphysique chinoise ont pu décrire sur ce sujet, en la personne de Zhuang zi (1).
坐 Zuo
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S’asseoir, être assis, être assis sur, être agenouillé assis sur ces talons |
(Ricci 5155) |
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2 personnes
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sur la terre
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(Wieger 27) |
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忘 Wang
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Oublier, omettre, négliger
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Zuo wang (Tao) faire le vide l’esprit |
(Ricci 5470)
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Wang |
Se cacher |
Wieger 10 |
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Ru |
Entrer pénétrer, entrer dans une cachette |
Exprime la pénétration des racines d’une plante dans le sol ligne verticale la tige, lignes descendantes racines |
Wieger 15 |
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Yin
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Courbe, couvrir, cacher |
Wieger 10 |
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Xin |
Figure du cœur |
Wieger 107 A |
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Quelques extraits tirés du Zhuang Zi (2) qui se rapporte à l’oubli de soi que nous laissons à votre réflexion
S’unir à celui qui pénètre tout
Zhuang Zi 6.J. Yen-Hoei
Yen-Hoei le disciple chéri, dit à son maître Confucius (3) :
— J’avance...
— Comment le sais‑tu ? demanda Confucius...
— Je perds, dit Yen-Hoei, la notion de la bonté et de l’équité...
— C’est bien, dit Confucius, mais ce n’est pas tout.
Une autre fois, Yen-Hoei dit à Confucius :
— Je profite...
— A quoi le reconnais-tu ? demanda Confucius...
— J’oublie les rites et la musique, dit Yen-Hoei...
— C’est bien, dit Confucius, mais ce n’est pas tout.
Une autre fois, Yen-Hoei dit à Confucius :
— Je progresse...
— Quel signe en as‑tu ? demanda Confucius...
— Maintenant, dit Yen-Hoei, quand je m’assieds pour méditer, j’oublie absolument tout.
Très ému, Confucius demanda :
— Qu’est‑ce à dire ?
Yen-Hoei répondit :
— Dépouillant mon corps, oblitérant mon intelligence, quittant toute forme, chassant toute science, je m’unis à celui qui pénètre tout. Voilà ce que j’entends par m’asseoir et oublier tout.
Confucius dit :
— C’est là l’union, dans laquelle le désir cesse ; c’est là la transformation, dans laquelle l’individualité se perd. Tu as atteint la vraie sagesse. Sois mon maître désormais !
Laissez tomber le corps comme un habit !
Zhuang Zi 11.D. Le politicien Yunn‑tsiang,
— Etre céleste, fit Yunn‑tsiang, j’ai eu beaucoup de peine à vous trouver ; de grâce, veuillez m’instruire.
De fait, dit Houng‑mong, vous avez grand besoin d’apprendre. Ecoutez donc !.. Commencez par n’intervenir en rien, et tout suivra naturellement son cours. Dépouillez votre personnalité (litt. laissez tomber votre corps comme un habit), renoncez à l’usage de vos sens, oubliez les relations et les contingences, noyez‑vous dans le grand ensemble, défaites-vous de votre volonté et de votre intelligence, annihilez‑vous par l’abstraction jusqu’à n’avoir plus d’âme. A quoi bon spéculer, l’inconscience étant la loi universelle ? La foule des êtres retourne inconsciente à son origine. Celui qui aura passé sa vie dans l’inconscience, aura suivi sa nature. S’il acquiert des connaissances, il aura vicié sa nature. Car il est né spontanément, sans qu’on lui ait demandé qui et quoi il voulait être. Et la nature veut qu’il s’en retourne de même, sans avoir su ni qui ni quoi.
— Ah ! s’écria Yunn‑tsiang, être céleste, vous m’avez illuminé, transformé. Durant toute ma vie, j’avais cherché vainement la solution du problème, et voici que je la tiens...
Cela dit, Yunn‑tsiang se prosterna le front en terre, puis se releva et reprit son chemin.
Un avec le Ciel, se fondre dans le Cosmos
Zhuang Zi 12.I Confucius demanda à Lao-tan (4)
— Certains s’appliquent à tout identifier, et prétendent que, licite et illicite, oui et non, sont une même chose. D’autres s’appliquent à tout distinguer, et déclarent que la non‑identité de la substance et des accidents est évidente. Sont‑ce là des Sages ?
— Ce sont, répondit Lao-tan, des hommes qui se fatiguent sans profit pour eux‑mêmes, comme les satellites des fonctionnaires, les chiens des chasseurs, les singes des bateleurs. K’iou je vais te dire une vérité, que tu ne pourras ni comprendre, ni même répéter proprement. Des Sages, il n’y en a plus ! Maintenant, nombreux sont les hommes, qui, ayant une tête et des pieds, n’ont ni esprit ni oreilles. Mais tu chercheras en vain ceux qui, dans leur corps matériel, ont conservé intacte leur part du principe originel. Ceux‑là (les Sages, quand il y en a,) n’agissent ni ne se reposent, ne vivent ni ne meurent, ne s’élèvent ni ne s’abaissent, par aucun effort positif, mais se laissent aller au fil de l’évolution universelle. Faire cela (et par conséquent devenir un vrai Sage taoïste,) est au pouvoir de tout homme. Il ne faut, pour devenir un Sage, qu’oublier les êtres (individuels), oublier le Ciel (les causes), s’oublier soi‑même (ses intérêts). Par cet oubli universel, l’homme devient un avec le Ciel, se fond dans le Cosmos.
Le premier pas dans la voie de la sagesse
Zhuang Zi 12.K Tzeu-koung
Tzeu-koung disciple de Confucius, étant allé dans la principauté de Tch’ou, revenait vers celle de Tsinn. Près de la rivière Han, il vit un homme occupé à arroser son potager. Il emplissait au puits une cruche, qu’il vidait ensuite dans les rigoles de ses plates-bandes ; labeur pénible et mince résultat.
— Ne savez‑vous pas, lui dit Tzeu-koung, qu’il existe une machine, avec laquelle cent plates-bandes sont arrosées en un jour facilement et sans fatigue ?
— Comment est‑ce fait ? demanda l’homme.
— C’est, dit Tzeu-koung, une cuiller à rigole qui bascule. Elle puise l’eau d’un côté, puis la déverse de l’autre.
— Trop beau pour être bon, dit le jardinier mécontent. J’ai appris de mon maître, que toute machine recèle une formule, un artifice. Or les formules et les artifices détruisent l’ingénuité native, troublent les esprits vitaux, empêchent le Principe de résider en paix dans le cœur. Je ne veux pas de votre cuiller à bascule.
Interdit, Tzeu-koung baissa la tête et ne répliqua pas. A son tour, le jardinier lui demanda :
— Qui êtes‑vous ?
— Un disciple de Confucius, dit Tzeu-koung.
— Ah ! dit le jardinier, un de ces pédants qui se croient supérieurs au vulgaire, et qui cherchent à se rendre intéressants en chantant des complaintes sur le mauvais état de l’empire. Allons ! Oubliez votre esprit, oubliez votre corps, et vous aurez fait le premier pas dans la voie de la sagesse. Que si vous êtes incapable de vous amender vous‑même, de quel droit prétendez‑vous amender l’empire ? Maintenant allez‑vous‑en ! Vous m’avez fait perdre assez de temps !
Tzeu-koung s’en alla, pâle d’émotion. Il ne se remit, qu’après avoir fait trente stades. Alors les disciples qui l’accompagnaient lui demandèrent :
— Qu’est‑ce que cet homme, qui vous a ainsi troublé ?
— Ah ! dit Tzeu-koung, jusqu’ici je croyais qu’il n’y avait dans l’empire qu’un seul homme digne de ce nom, mon maître Confucius. C’est que je ne connaissais pas celui‑là. Je lui ai expliqué la théorie confucéiste, de la tendance au but, par le moyen le plus commode, avec le moindre effort. Je prenais cela pour la formule de la sagesse. Or il m’a réfuté et m’a donné à entendre, que la sagesse consiste dans l’intégration des esprits vitaux, la conservation de la nature, l’union au Principe. Ces vrais Sages ne différent pas du commun extérieurement ; intérieurement leur trait distinctif est l’absence de but, laisser s’écouler la vie sans vouloir savoir vers où elle coule. Tout effort, toute tendance, tout art, est pour eux l’effet d’un oubli de ce que l’homme doit être. Selon eux, l’homme vrai ne se meut, que sous l’impulsion de son instinct naturel. Il méprise également l’éloge et le blâme, qui ne lui profitent ni ne lui nuisent. Voilà la sagesse stable, tandis que moi je suis ballotté par les vents et les flots.
Quand il fut revenu dans la principauté de Lou, Tzeu-koung converti au Taoïsme raconta son aventure à Confucius. Celui‑ci dit :
— Cet homme prétend pratiquer ce qui fut la sagesse de l’âge primordial. Il s’en tient au principe, à la formule, affectant d’ignorer les applications et les modifications. Certes, si dans le monde actuel il y avait encore moyen de vivre sans penser et sans agir, uniquement attentif au bien‑être de sa personne, il y aurait lieu de l’admirer. Mais nous sommes nés, toi et moi, dans un siècle d’intrigues et de luttes, où la sagesse de l’âge primordial ne vaut plus qu’on l’étudie, car elle n’a plus d’applications.
Éteindre les désirs de son cœur
Zhuang Zi 20.B Hioung‑ileao
L’incorruptible Hioung‑ileao ayant visité le marquis de Lou, remarqua qu’il était triste et lui en demanda la raison.
— C’est que, dit le marquis, alors que j’ai étudié les règles des anciens et cherché à faire honneur à mes prédécesseurs ; alors que j’ai vénéré les Mânes et honoré les Sages, personnellement et constamment, je suis affligé, coup sur coup, par toute sorte de malheurs.
— Cela ne m’étonne pas, dit I-leao. Les moyens que vous avec employés, ne vous préserveront pas. Songez au renard, au léopard. Ces animaux ont beau se retirer dans les profondeurs des forêts et les cavernes des montagnes, ne sortant que la nuit et avec beaucoup de précautions, endurant la faim et la soif plutôt que de s’aventurer dans les lieux habités ; ils finissent toujours par périr dans un filet ou dans un piège. Pourquoi ? A cause de leur belle fourrure, que les hommes convoitent. Or vous, Altesse, le Marquisat de Lou, c’est votre fourrure à vous, que vos voisins convoitent. Si vous voulez trouver la paix, dépouillez‑vous‑en bénévolement, éteignez tous les désirs de votre cœur, retirez‑vous dans la solitude. Dans le pays de Nan-ue, il y a une ville, dite Siège de la solide vertu. Ses habitants sont ignorants et frustes, sans intérêts propres et sans désirs. Ils produisent, mais ne thésaurisent pas ; ils donnent, sans exiger qu’on leur rende. Chez eux, ni étiquette, ni cérémonies. Cependant, malgré leur air de sauvages, ils pratiquent les grandes lois naturelles, fêtent les naissances et pleurent les décès. Marquis, quittez votre marquisat, renoncez à la vie vulgaire ; allons vivre ensemble là‑bas !
— C’est loin ! fit le marquis ; la route est difficile ; il y a des monts et des fleuves à passer ; je n’ai ni bateau ni char.
I-leao dit :
— Si vous étiez détaché de vos dignités, si vous ne teniez pas à votre pays, si vous désiriez aller là‑bas, votre désir vous y transporterait.
— C’est loin ! fit le marquis. Et les provisions ? Et les compagnons ?
I-leao dit :
— Si vous ne teniez pas à votre luxe, si vous n’étiez pas attaché à votre bien‑être, vous ne vous préoccuperiez pas des provisions ; vous vous confieriez aux fleuves, à la mer, ne craignant même pas de perdre la terre de vue ; et l’abandon de vos compagnons ne vous ferait pas reculer. Mais je vois bien, maître de vos sujets, que vos sujets sont vos maîtres, car vous tenez à eux. Vous n’êtes pas un Yao, qui ne considéra jamais personne comme son sujet, et ne fut jamais le sujet de personne. J’ai tenté de vous guérir de votre mélancolie ; mais vous n’êtes pas homme à employer l’unique remède efficace, lequel consiste, après avoir tout abandonné, à s’unir au Principe, dans l’abstraction Cette abstraction doit aller jusqu’à l’oubli de sa personnalité. Car tant qu’on garde la notion de sa personnalité, ses conflits avec celles d’autrui, empêcheront la paix. Soit un bac traversant un fleuve. Si une barque vide qui dérive, vient à le heurter, fussent‑ils irascibles, les mariniers du bac ne se fâcheront pas, parce qu’aucune personne n’est entrée en conflit avec eux, la barque étant vide. Si, au contraire, il y a une personne dans la barque, des cris et des injures partiront aussitôt du bac. Pourquoi ? Parce qu’il y a eu confit de personnes... Un homme qui aura su se dépouiller même de sa personnalité, pourra parcourir le monde entier sans éprouver de confit.
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